Les sociétés de gestion sont tout autant concernées que les entreprises par les enjeux de bonne gouvernance.
Si les anglo-saxons perçoivent la présence d’un Board of Directors comme une potentielle source de valeur ajoutée et de protection des investisseurs, le système français de gouvernance des FCP semble avoir trouvé ses limites, tant sur le plan commercial que technique. Mais les exigences croissantes des investisseurs internationaux favorisent les évolutions.

 

La revue Analyse financière éditée par la Société française des analystes financiers (SFAF) -Edition n°68 – Juillet – Août – Septembre 2018 – www.sfaf.com

 

En 1940 : les Etats Unis d’Amérique promulguent l’Investment Company Act qui « améliore » la loi de 1924 créant les Mutual funds (OPCVM). Les systèmes sociaux, les retraites et l’éducation y sont largement payés par l’épargne constituée et gérée. La crise financière des années trente avait vu un relâchement des bonnes pratiques et, par cette loi, l’État a voulu redonner confiance aux investisseurs en imposant des dispositifs les protégeant au mieux. Dans l’Investment Company Act de 1940, figure l’obligation pour toutes les Investment Companies – et chaque fonds (au sens de Mutual funds) est une Investment Company – de mettre en place un Board of Directors (dont 40 % des membres doivent être indépendants, certaines décisions exigeant un vote d’une majorité de ces indépendants).

 

En France, surtout depuis la fin des années quatre-vingt, la structure d’OPCVM qui prévaut est le FCP (Fonds commun de placement), c’est-à-dire un groupe d’investisseurs partageant les mêmes droits et devoirs mais confiant leurs intérêts et leur représentation à la société de gestion, par définition non indépendante. Pour résoudre cette difficulté, les missions de supervision et de surveillance des intérêts des investisseurs sont imposées à la société de gestion, organisées et surveillées par le régulateur, l’AMF en l’occurrence.

 

BOARDS : COÛT VS VALEUR

 

Deux systèmes, deux cultures.
Les Français (en général) répondent que le conseil d’administration d’un fonds coûte cher et, dans le meilleur des cas, ne sert à rien puisque le régulateur est là. Les Anglo-saxons, au contraire, voient dans le Board of Directors (nous garderons le terme anglais qui serait mal traduit par conseil d’administration) une instance à valeur ajoutée.
Tous soulignent que le Board évite ou résout les conflits d’intérêts, veille à ce que le gérant et les prestataires de services financiers agissent toujours dans le meilleur intérêt des porteurs et apporte des compétences, des connaissances et des expériences qui sécurisent tant le fonds que, par ricochet, la société de gestion.
Bref, pour les Anglosaxons, le Board a un coût, justifié par une valeur qu’il faut développer et utiliser au mieux. Aujourd’hui, dans les différentes juridictions que nous pratiquons (Luxembourg, Irlande, Îles Caïmans), tous les régulateurs, auditeurs, avocats, savent rappeler que le Board, et donc individuellement chaque Director, est « ultimately responsible », le responsable final de tout (sauf la performance financière en l’absence de fraude ou de rupture des contraintes d’investissement). Et cette responsabilité, qui s’exerce sur un champ de plus en plus vaste, s’explique autant par l’exigence des investisseurs que par le transfert de missions de supervision du régulateur au Board.
Cette responsabilité n’est pas théorique. Les Directors peuvent être sanctionnés par les régulateurs et/ou condamnés par la justice s’ils ont failli à leur mission. Le cas Weavering(1) est, à ce titre, très emblématique et le jugement en appel confirme que l’obligation des Directors est d’exercer effectivement leur mandat sur la base de leurs connaissances et expériences.
Bref, un Director doit travailler et ne rien faire, ou mal faire, serait condamnable.

 

QUEL EST LE RÔLE  DU BOARD?

 

En une phrase, il doit organiser une supervision lui permettant de s’assurer, avec un confort suffisant, que le fonds est géré conformément aux attentes des investisseurs, que les conflits d’intérêts sont toujours résolus dans l’intérêt des investisseurs, etc.
Mais il a aussi la responsabilité essentielle d’assurer l’exactitude des informations transmises aux investisseurs, ce qui inclut notamment le prospectus, les valorisations, les comptes audités.
Il doit aussi s’assurer que toutes les mesures de protection des actifs des investisseurs ont été prises, c’est-à-dire que les actifs existent vraiment (penser à l’affaire Madoff…) et, qu’en cas de faillite d’une contrepartie ou d’un dépositaire, ces actifs pourront être récupérés (penser au cas Lehmann…).
Enfin, le Board doit s’assurer que le fonctionnement du fonds est toujours conforme à la loi, ce qui implique notamment un contrôle de la bonne mise en œuvre des procédures de lutte anti-blanchiment (en Irlande et au Luxembourg, une formation annuelle est imposée à chaque Director), que les reportings fiscaux sont bien adressés dans les délais et, évidemment, que les comptes audités sont publiés dans les délais.
Cette liste n’est pas exhaustive mais elle montre que le Board doit passer du temps pour exercer ses responsabilités (selon les stratégies et les structures entre 6 et 20 jours par an), ce qui représente un coût. Or, ce coût impose une création de valeur pour les investisseurs.
Cette valeur est d’abord la garantie qu’ils sont représentés au mieux pour que leur sécurité et leurs intérêts soient préservés. Les lois et les règlementations définissent les responsabilités du Board, mais, vis-à-vis des investisseurs, le Board est davantage « accountable » (encore un mot intraduisible).

 

FCP : LES LIMITES  DE LA GOUVERNANCE

 

Quelles sont les conditions du succès ?
Notre expérience et les nombreuses due diligence que nous avons traitées nous ont permis de regrouper les meilleures pratiques dans une méthodologie appelée AlphaBoard©.
La première condition du succès est la composition. Les Directors doivent avoir des compétences se complétant, la disponibilité nécessaire et un affectio societatis pour travailler harmonieusement ensemble avec le gérant et les principaux prestataires. Il reste recommandé, voire exigé, que le Board d’un fonds soit majoritairement indépendant et se réunisse régulièrement.
La deuxième condition du succès est une organisation rigoureuse du travail, avec la mise en place d’outils de suivi efficaces, des réunions bien organisées et, d’une manière générale, une communication fluide avec le gérant et les principaux prestataires de services.
Ainsi, rapidement, les questions arrivent avant de poser problème. Or, il semble que le système de gouvernance de FCP établi sur la règlementation, sur la responsabilisation de la société de gestion et, autant que possible, sur un contrôle dépositaire trouve aujourd’hui ses limites. Ces limites sont commerciales. Nous payons notre originalité française puisque les investisseurs internationaux ont de nouvelles exigences en matière de gouvernance et c’est une raison (pas la seule) du transfert de véhicules de gestion vers le Luxembourg.
C’est aussi une raison (là encore pas la seule) du choix fréquent de l’Irlande par les gestionnaires américains qui souhaitent se développer en Europe. Ces limites sont aussi techniques car les techniques de gestion, la complexité des instruments financiers, la multiplication des prestataires de services (dépositaires, contreparties, Prime brokers, etc.), la gestion de nouveaux risques (lutte anti-blanchiment, reporting…) rendent la règlementation trop complexe et nous voyons les régulateurs se décharger de certaines missions de supervision sur les Boards. L’AMF en a parfaitement conscience, d’abord en faisant évoluer les structures actuelles et en invitant les sociétés de gestion, via un guide publié par l’AFG, à se doter « d’une instance collégiale de nature à assurer la surveillance globale de ses activités », puis faisant siennes certaines conclusions du groupe « FROG » (French Routes and Opportunities Garden) né du besoin de trouver de nouveaux relais de croissance à la distribution des fonds français dans un contexte d’internationalisation et de digitalisation des services financiers en mettant en place des dispositifs très fluides pour faciliter la transformation des FCP en SICAV avec Board.
Mais il ne suffit pas de réguler pour changer de vieilles habitudes. La pression des investisseurs et la reconnaissance de la valeur ajoutée d’une bonne gouvernance accélèreront cette évolution.

 

(1) Weavering : Mi-2011, un tribunal des Îles Caïmans a rendu deux administrateurs d’un Hedge Fund responsables notamment de ne pas avoir exercé de contrôles et de s’être comportés comme une simple chambre d’enregistrement.