Bien que mise en oeuvre depuis 2011, c’est actuellement que la Directive UCITS IV est en train de modifier le paysage européen de la gestion d’OPCVM coordonnés. Rappelons que cette Directive a été construite pour faire face au constat suivant : Les fonds européens étaient – au moment des discussions – en moyenne cinq fois plus petits et deux fois plus chers à gérer que les fonds US. La Directive UCITS IV a donc été mise en place afin d’offrir aux gérants une « boite à outils » pour remédier à ce constat. Un des « outils » mis à la disposition des sociétés de gestion afin de diminuer les coûts est le passeport société de gestion, et il permet de gérer un UCITS dans un état membre tout en ayant la société de gestion dans un autre état membre.

 

Si certains avaient des doutes quant au fonctionnement du passeport société de gestion, force est de constater qu’il est bien une réalité opérationnelle. En France , environ une quarantaine de sociétés de gestion ont demandé à l’AMF le passeport afin de domicilier dans d’autres pays leurs fonds.

 

Sans réelle surprise, le Luxembourg profite des réflexions stratégiques des sociétés de gestion françaises. Nombreuses sont celles qui créent des gammes de fonds sur place, re-domicilient des FCP français ou des fonds offshore ou encore lancent des structures master-feeder Le Luxembourg se pose plus que jamais en leader en termes de domiciliation d’OPCVM UCITS. Le Luxembourg a non seulement des atouts pour la constitution d’OPCVM mais est surtout un Hub de distribution qui a su devenir mondial, la plupart des études montrent que 75 à 80% des fonds UCITS vendus cross-boarder sont des UCITS Luxembourgeois.

 

Cet intérêt croissant pour le Luxembourg amène de nombreuses sociétés de gestion françaises à se poser la question de la création d’une SICAV Luxembourgeoise. Et cet engouement s’accompagne d’un foisonnement de questions de la part des acteurs français qui nécessite quelques précisions pour éviter les contre vérité.

 

Créer et gérer une SICAV au Luxembourg, est ce cher ?

Sans contestation possible, oui, plus qu’en France. Ce n’est pas cependant spécifique au Luxembourg. La plupart des pays qui se sont spécialisés dans la domiciliation de fonds présentent des tarifs supérieurs à la France. Concernant le Luxembourg, les coûts de dépositaire et d’administration centrale sont plus élevés que pour un FCP français. De même pour l’audit qui s’accompagne par ailleurs d’un « long form report ». Notons cependant que les SICAV Luxembourgeoises sont généralement des « ombrelles » permettant d’avoir un coût marginal décroissant à mesure du lancement de nouveaux compartiments. La création d’une SICAV Luxembourgeoise nécessite donc un plan de développement rapide et ambitieux et un encours initial assez important pour ne pas pénaliser le track record.

 

Créer une SICAV au Luxembourg, est ce long ?

« Quel est le calendrier anticipé ? » C’est la question le plus souvent posée et à laquelle j’ai toujours une grande difficulté à répondre. Il faut raisonner en deux temps. Tout d’abord, il faut considérer la phase de préparation de l’ensemble de la documentation de la SICAV (Prospectus, DICI, Statuts) de l’ensemble des contrats (dépositaire, agent domiciliataire, administration centrale…). Elle peut cependant prendre un certain temps si le gérant n’a pas une idée claire de son projet et des spécifications qui lui sont liées. A l’image de la construction d’une maison, nous préconisons d’établir préalablement un « plan d’architecte », une stratégie qui permet par la suite de gagner du temps quand il va s’agir de faire intervenir en parallèle les différents service providers impliqués. Cela évite surtout les navettes chronophages entre société de gestion, dépositaire, administrateur et éventuellement prime broker pendant la rédaction du Prospectus.

Précisons tout de suite qu’un dossier « UCITS classique » bien constitué et bien instruit auprès de la CSSF ne prend normalement pas 6 mois pour obtenir le visa. Le plus rapide que nous ayons constaté est de deux mois, mais ces délais ne sont pas actuellement respectés du fait de l’engorgement AIFM, trois mois et demi est la moyenne que nous constatons. Des dossiers plus complexes peuvent aller jusqu’à 4 à 5 mois. Le fonctionnement de la CSSF déroute parfois les gérants français. Il faut surtout accepter un jeu de questions réponses ou il s’agit surtout de justifier ses choix. Il n’y a pas forcément de bonne ou de mauvaise réponse. Enfin, l’expérience montre que lorsque la CSSF «gold-plate » UCITS IV dans ses questions (certains lecteurs se souviendront peut être du fameux «risk management process »), il suffit parfois de le lui rappeler de façon argumentée et d’user de quelques subtilités locales afin d’obtenir un lancement plus rapide.

 

Le Board doit-il être indépendant ? Doit-il être majoritairement Luxembourgeois ?

Dans la loi Luxembourgeoise rien n’oblige le Board à être indépendant. C’est essentiellement une bonne pratique que d’avoir au moins un indépendant au Board, bonne pratique que la CSSF et les membres de l’ALFI encouragent/

C’est aussi un point particulièrement regardé par les investisseurs internationaux à l’occasion de leurs due diligences. Dans l’univers AIFM, la proximité avec le mode offshore fait que les Boards sont majoritairement indépendants.

Contrairement à une idée reçue particulièrement répandue, il n’y a aucune exigence du régulateur sur la nationalité des Directors. La confusion vient des «conducting officers » des SICAV autogérées qui eux devaient être Luxembourgeois. Dans le cadre de UCITS IV de la LPS, il n’y plus d’obligation de nationalité. La CSSF regarde surtout la composition et la compétence du Board. Les membres ne doivent pas avoir un trop grand nombre de mandats. Ils doivent aussi présenter une certaine complémentarité de compétences pour permettre d’assurer l’oversight de la SICAV et de ses prestataires.

 

Le régulateur Luxembourgeois est-il un régulateur « business minded » ?

Le régulateur luxembourgeois est avant tout… un régulateur. Il est capable de prendre en compte certaines situations spécifiques (lancement d’un fonds avant une date spécifique pour cause d’engagement contractuel avec des seeders…), mais cela ne veut pas dire accéder à toutes les requêtes des sociétés de gestion dans un laps de temps restreint. Le Luxembourg a tout intérêt à protéger sa réputation d’excellence à l’international et donc à éviter autant que possible les problèmes sur les fonds domiciliés dans le grand-duché (même si, comme on a pu le voir, le risque zéro n’existe pas). La CSSF examine donc, comme tout régulateur, de façon minutieuse les dossiers qui lui sont soumis. Son mode de fonctionnement peut cependant surprendre car le dialogue avec les « officiers » traitant est beaucoup moins usuel qu’avec les services de l’AMF. C’est une organisation différente que nous avons appris à comprendre au fil du temps et qui surprend généralement les sociétés de gestion françaises.

 

Les schémas d’implantation au Luxembourg sont-ils plus nombreux qu’en France ?

Sans conteste oui. Les SICAV – autres que UCITS – peuvent prendre de nombreuses formes juridiques (SA, SARL, SCA, SCS). On peut toujours passer par une ManCo locale qui peut, par exemple, fournir des services de contrôle des risques. On peut également « louer » des compartiments de SICAV ombrelles afin de mutualiser les coûts de la SICAV (cependant, la société de gestion n’est alors pas « propriétaire » de sa SICAV). De nombreux montages sont possibles. Il faut cependant garder à l’esprit que certains montages séduisants pour le gérant le sont beaucoup moins pour les investisseurs.

 

Et AIFM ?

Le passeport « gestion » dans AIFM fonctionne de la même façon qu’UCITS IV. Notre expérience récente montre qu’il s’obtient plus vite que le passeport UCITS (car la procédure a été simplifiée). Elle montre que les obligations d’information pré investissement conduisent à une convergence entre la documentation – dans la forme et le fonds – UCITS et celle AIFM, notamment au niveau des Prospectus. Enfin, et comme il n’y a encore que peu d’exemples, les délais pour un SIF AIF Luxembourgeois sont assez comparables aux UCITS. Le temps sans doute que la CSSF stabilise sa doctrine interne sur cette nouvelle directive.

Par ailleurs, sur un plan business development international, l’intérêt de faire émerger un label AIFM pour – notamment – la place de Luxembourg est évident. Les projets de passeports pour les fonds d’investissements asiatiques et d’Océanie (Hong-Kong China Mutual recognition scheme, Asean funds passport et Asia region funds passport) risquent de rendre les fonds UCITS superflus à court terme dans cette région. L’arrivée d’un nouveau véhicule bénéficiant d’une image de marque aussi positive que UCITS permettrait d’entamer un cycle de destruction créatrice schumpétérien. Nul doute que l’écosystème luxembourgeois va donc rapidement développer ce label.

 

(1) 56% d’entre eux souhaitent que la présence d’au moins un administrateur indépendant au Board des SICAV soit intégré dans le code de conduite de l’ALFI. PWC – Luxembourg Fund Governance Survey – 2012